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Le blog d'Adrien Le Bihan et des éditions Cherche-bruit
25 novembre 2012

Cocteau l’éclectique à Luxembourg

Samedi 8 décembre 2012 au Cercle Cité, Place d’Armes, à Luxembourg, seront inaugurés l’exposition «Jean Cocteau : l’œuvre graphique» (collection Ioannis Kontaxopoulos et Alexandre Prokopchuk) et l’événement «Jean Cocteau : un génie éclectique».

Cette formule, autrefois, aurait pu sembler provocatrice. Le confirme, dans le numéro d’Esprit d’avril 1933 (l’année où débute le cycle des Minitauromachies, l’année de Corrida - la mort de la femme torero),  le long article hargneux d’un ennemi de Picasso, un certain Jacques Basalque (pseudonyme sans doute). Ce personnage compare l’exposition Picasso de cette année-là à un «coin perdu du marché aux puces», à une «farce de rapin», et, avec la bénédiction d’Emmanuel Mounier, porte cette fatale estocade : «Que les derniers convulsionnaires de la milice picassienne accompagnent leur maître dans l’oubli cendreux qui va l’ensevelir. "L’œuvre d’un éclectique – dit Baudelaire – ne laisse pas de souvenir".»

Ce Basalque, impitoyable envers les «toxicomanes blasés», les «raffinés invertis» et le «trouble ferment sémite» qu’il subodore chez Picasso, se sentirait fort démuni s’il n’avait sous la main les proses de Baudelaire. Les six épigraphes dont il orne son pamphlet proviennent toutes des Curiosités esthétiques. On a reconnu dans la citation finale un emprunt à «De l’éclectisme et du doute».

Basalque est tellement persuadé que son vaillant et moral combat lui vaudra les deux oreilles et la queue, qu’il intitule son article «Faillite de l’arlequin absolu », ce qui provoque la colère de Jean-Joseph Rabearivelo.

À Madagascar, dans Les Calepins bleus (superbement édités par Serge Meitinger, Liliane Ramarosoa et Claire Riffard), ce poète malgache isolé réplique le 28 juillet 1933 : « Basalque a tout simplement oublié que arlequin égale artiste – et que toutes les pirouettes, toutes les recherches et le renouvellement perpétuel du peintre andalou sont loin de le déshonorer ! Comme quoi les richesses les plus éclatantes, vues par les gueux et les envieux, peuvent bien leur apparaître comme d’horribles oripeaux. »[1]

Rabearivelo s’étonne que Basalque se réclame avec insistance de Baudelaire, lequel, peut-il assurer (car il le lira passionnément jusqu’à sa mort) «eût aimé pourtant le Malaguène». Il omet de relever que le chroniqueur de la revue Esprit condamne évidemment aussi Jean Cocteau, admirateur de «l’événement Picasso» ; qu’il le fourre dans le même sac d’Arlequins.

La table ronde qui aura lieu le 8 décembre à Luxembourg saura sûrement distinguer entre l’éclectisme de Cocteau et celui qui déplaisait à Baudelaire.

Rappelons seulement que, comme le souligna Claude Pichois, son annotateur dans l’édition de la Pléiade, Baudelaire fréquenta le théâtre des Funambules, qu’il avait de la sympathie pour Arlequin et qu’il complimenta Octave Penguilly l’Haridon pour Pierrot présente à l'assemblée ses compagnons Arlequin et Polichinelle.

La table ronde sera suivie de la présentation du catalogue de l’exposition par Ioannis Kontaxopoulos (commissaire de cette exposition) et Serge Dieudonné, parfait connaisseur des œuvres de Cocteau.

 



[1] Jean-Joseph Rabearivelo, Œuvres complètes, tome I, CNRS Éditions / Présence Africaine Éditions, Paris, 2010)

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