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Le blog d'Adrien Le Bihan et des éditions Cherche-bruit
22 janvier 2013

Un partisan de Tito au palais du Luxembourg

En prélude à la prochaine entrée de la Croatie dans l’Union européenne, un festival croate, organisé à Paris de septembre à décembre 2012, nous a régalés de reliquaires et manuscrits enluminés au Musée de Cluny, de sculptures de Meštrović au Musée Rodin (voir mon billet du 18 octobre), des Solistes de Zagreb, dirigés par Marc Coppey, au Théâtre de la Ville, et d’un bref récital de Martina Filjak à la Salle Gaveau [1].

Tout ne fut pas de la même eau pendant ce festival si l’on en juge par le chétif colloque sur les relations franco-croates, qui s’est tenu au Palais du Luxembourg le 11 octobre.

En de telles occasions, les discours les plus discrets sont les bienvenus : ils ne font de mal à personne. Un orateur, hélas, voulut faire du barouf. On attendait d’un professeur, spécialiste de littérature française, qu’il évoquât, par exemple, les rapports avec André Breton du poète Radovan Ivšić.

 

André Breton et Radovan Ivsic

 

Radovan Ivšić avec André Breton dans l'atelier de celui-ci, rue Fontaine, vers 1960.

© Lea Sperry

 

Malheureusement, Predrag Matvejević, confondant la salle Clemenceau avec une tribune de son ancienne Yougoslavie, émit la prétention de  dissocier le chef de la France Libre du résistant serbe Mihailović pour l’associer à Tito. «Je souhaite, annonça-t-il, axer mon intervention sur les relations entre le général de Gaulle et le maréchal Tito pendant la Deuxième Guerre mondiale.»

Matvejević oubliait qu’au moment où de Gaulle, en 1941, déplorait l’«hostilité de Tito à l’égard du général Mihailovitch qui, pourtant, menait, en Serbie, la lutte contre l’envahisseur» (Mémoires de guerre, tome 1, L’Appel), Tito ne s’était pas encore proclamé maréchal. Curieusement, Matvejević ne justifia son propos initial que par de rapides considérations sur l’invasion de la Tchécoslovaquie par les Soviétiques en 1968 et n’en conclut pas moins :  « … le général de Gaulle n’a pas soutenu Mihailović, le collaborateur, mais Tito le courageux. »

Pour se défaire de cette contrevérité, il suffit de rappeler que, le 2 février 1943, de Gaulle cite Dragoljub Mihailović à l’ordre des Forces Françaises Libres parce que ce général d’armée «n’a de cesse de continuer la lutte sur le territoire national envahi. Grâce à l’aide des patriotes, [il] harcèle sans cesse l’armée d’occupation, préparant ainsi l’assaut final qui conduira à la libération de sa patrie et du monde entier aux côtés de ceux qui n’ont jamais admis qu’un grand pays pouvait se soumettre à un brutal envahisseur».

Ceux qui ne furent pas victimes de la propagande de Tito, ou qui s’en sont libérés en lisant le Mihailović de Jean-Christophe Buisson, opportunément réédité en 2011 par les éditions Perrin, savent, en effet, que la résistance des Yougoslaves de Mihailović aux armées allemandes contraignit celles-ci à envahir l’URSS plus près de l’hiver qu’elles ne l’avaient envisagé, et que le général serbe n’en fut pas récompensé par les Alliés.

Il est vrai que le 17 janvier 1969, de Gaulle porta un toast à Spiljak, président du conseil exécutif fédéral de Yougoslavie, venu en France à la tête d’une délégation, non pas, comme le soutient Matvejević, pour entendre un éloge de son chef Tito, mais pour des entretiens visant à «mieux conjuguer» les politiques étrangères des deux gouvernements, vis-à-vis essentiellement du Vietnam et du Moyen-Orient. Il est vrai aussi qu’à la fin de ce toast, de Gaulle salua en Tito (qu’il ne souhaita jamais rencontrer) le «combattant qui, dans le pire danger, a soutenu victorieusement la grande querelle de sa patrie» et «l’homme d’État dont, au dehors, les vues lucides et l’énergique activité répondent, en ce moment même, à ce que le Gouvernement de la République française tient pour juste et pour nécessaire.» On ne saurait rien tirer de ce texte qui approuve en quoi que ce soit la politique intérieure de Tito. Rien non plus, on s’en doutait, qui amoindrisse la citation de Mihailović, 26 ans auparavant, à l’ordre des Forces Françaises Libres.

Predrag Matvejević affirme riposter à une rumeur circulant en Serbie («une rumeur fait courir le bruit», déclare-t-il). Il en répand une pire que celle dont il enrage. Sa réponse est d’un partisan.

 

P.S. : Éclairons la rumeur. Mihailović, lieutenant-colonel de l’état-major yougoslave, assistant à Paris, en 1930, à des cours de l’École supérieure de guerre, y aurait fait la connaissance de De Gaulle. Or, si celui-ci a bien été instructeur dans cette École, il appartient en 1930 à l’état-major du commandant supérieur des troupes françaises au Levant. Mihailović n’a donc pas pu le rencontrer à Paris comme le voudraient certains historiens serbes. Sur ce point, Matvejević a incontestablement raison. Mais pas entièrement. La rumeur serbe prétendrait, selon lui, que «Mihailović […] et le général de Gaulle [sic] étaient ensemble à Saint-Cyr, où ils nouèrent une amitié.» Il est possible que certains enthousiastes, à Belgrade, confondent Saint-Cyr (où de Gaulle fut admis quand Mihailović n’avait que 16 ans) et l’École de supérieure de guerre. Cette erreur n’est pas pendable. L’ennui, c’est que Matvejević donne l’impression de la commettre aussi.



[1] Hors festival, les côtes de la Dalmatie et de l’Istrie furent à l’honneur sur les cartes marines médiévales magnifiquement exposées à la BNF (cf. mon billet du 19 novembre).

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