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Le blog d'Adrien Le Bihan et des éditions Cherche-bruit
22 octobre 2012

Les frontispices proliférants de Beneyto

Comme je l’ai déjà mentionné, La République des Lettres, revue en ligne, changeant soudain de formule, noya les écrits qu’elle avait précédemment publiés. Le texte qui suit est de ceux qui remontent à la surface.

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Une des photos de Beneyto par Judith Vizcarra exhibe le rictus d’un homme torse nu au crâne rasé, les yeux abrités par des lunettes noires, les doigts croisés des deux mains palpant avec inquiétude sa gorge. On ne s’étonne, sous l’image, de lire : «Isidore Ducasse. Comte de Lautréamont» que si on n’a pas remarqué, dans le même catalogue, sous la célèbre photo du jeune Ducasse (à la chevelure très fournie), l’inscription : «Antonio Beneyto. Baron de Chinchilla de Montearagón». Cette localité de la Manche rappellera aux initiés que le peintre, sculpteur, écrivain de Barcelone garde plus de liens avec la province d’Albacete (la revue Barcarola, par exemple, dont il est rédacteur en chef) que Ducasse n’en entretenait avec Tarbes.

Isidore métamorphosé en Lautréamont invite Beneyto à se changer en Ducasse pour mieux s’accoupler avec le comte, tel Maldoror avec la femelle de requin. Son «Hommage à Lautréamont» est le reflet en peinture, ou en bronze, de ces accouplements, qui n’ont rien de monstrueux. «Je n’éprouve pas d’horreur, mon cher, lui écrit Alejandra Pizarnik, car tout est parfaitement fait (ou défait) pour que nous éprouvions de l’horreur, mais pas toi…»

Le Bestiaire de Beneyto, auquel appartient cet Hommage, se peuple jour après jour de créatures aériennes et sous-marines aux becs acérés, aux griffes pointues, aux ailes d’ange, aux corps désossés, qui – louées soient les apparences – cultivent avec lui un air de famille. Devant elles, il se contemple, remanie sa silhouette et entraîne les écrivains de sa ménagerie à faire de même. Un Plume ne pouvant se dérober à la rencontre du bec, de l’encre et de l’aigrette, il intronise Michaux barbare, non point en Asie, mais à Barcelone (où son domicile voisine avec un ancien atelier de Picasso, guère éloigné du jardin zoologique).

Le site Internet d’Antonio Beneyto engage à circuler parmi ses œuvres littéraires et plastiques.

http://www.antonio-beneyto.com/obra_plastica.html

Recueilli dans les Écrits chaotiques (Escritos caóticos, March Editor, El Vendrell, 2009), le texte sur Lautréamont nous confie : «Les images sortent de mon cerveau automatiquement, depuis toujours, depuis que j’ai commencé à créer, ce qui remonte loin : précisément à l’époque où j’étais dans le ventre de ma mère. Je me souviens que durant les dernières semaines de gestation, le fœtus, c’est-à-dire moi, avait grandi si vite que je tournai la tête vers le bas et c’est ainsi, la tête en bas, que je commençai à créer mes premières œuvres, dans l’espace réduit – le studio – du ventre de ma mère.»

Ce fœtus créateur de Beneyto fait preuve, dans sa prolifique maturité, d’une activité inlassable. La mémoire ne lui faisant jamais défaut, il n’a de cesse qu’il ne puisse rappeler aux écrivains, plus oublieux de leurs origines que les peintres, de quelle sorte de caverne, comme lui, ils proviennent.

Parcourons, sur le site, ses peintures, ses dessins, ses objets postistes (du mouvement de l’avant-garde espagnole qui avait pris le nom de «postisme»), ses sculptures et céramiques, et arrêtons-nous dans sa bibliothèque, au sein plus exactement d’une section de celle-ci qui s’affiche «capricieuse et délirante». Là sont les livres où il s’impatronise en les enluminant d’espaces imaginaires, tels Ars Quimérica, de Cristóbal Serra (que dans son miroir il surprit promenant son crocodile sur le Born de Palma), Les onze mille verges, Gestes et opinions du Docteur Faustroll, Les 622 Chutes de Bungo ou la femme démoniaque, de S. I. Witkiewicz dit Witkacy, Mrs. Caldwell parle à son fils, de Camilo José Cela ou encore Problèmes de doublage, d’Aurora Luque.

De ces copulations du peintre écrivain avec des livres choisis de sa bibliothèque, jaillissent, peu soucieuses de la lettre du texte, des guirlandes aérées, malicieuses, lestes, qui dissipent en apesanteur, sur les pages de titre, objets en déséquilibre, doigts effilés, serpents onctueux ou débonnaires béhémoths. Lorsque l’ouvrage a été dédicacé à l’artiste, dessin et calligraphie se jaugent, se convoitent ou s’enlacent comme des pieuvres amoureuses. Nombre de volumes voient se succéder, sur ces effrontés mais avenants frontispices, les autoportraits de l’envahisseur, avec ou sans son pieu (plume, burin ou pinceau, allez savoir), couché quand ça lui chante en travers du papier  – hermaphrodite ou femme quelquefois, par passion de se dédoubler.

http://www.antoniobeneyto.com/caprichosa_delirante05.html 

Post-scriptum : L’Association collégiale des écrivains de Barcelone projettera, le 21 novembre 2012, à l’Ateneu Barcelonès, le film d’Adriana Hoyos Beneyto desdoblándose («Beneyto qui se dédouble», ou bien : «qui se déplie»). Cette projection précèdera la présentation du numéro 78 de Barcarola, revue de création littéraire éditée à Albacete, un numéro spécial consacré à Antonio Beneyto.

 

 

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