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Le blog d'Adrien Le Bihan et des éditions Cherche-bruit
18 octobre 2012

Joyce à Trieste, Meštrović au musée Rodin

En octobre 1983, le centenaire d’Ivan Meštrović donna lieu à Zagreb à une grande exposition. Un journaliste qui passait par là, qui ne connaissait rien à la région, qui ignorait l’inflexibilité du sculpteur dalmate envers les dictateurs successifs de son pays, et que certains de ses corps musculeux offusquaient, les décréta fascistes.

Les muscles des Indiens de Chicago apportent à cette injure le démenti qui convient :

http://www.croatia.org/crown/articles/9922/1/Ivan-Mestrovic-Croatian-sculptor-and-his-Chicago-Indians.html

La modeste mais fort belle exposition qui nous est offerte au musée Rodin (où un Job fort impressionnant côtoie saint Jean-Baptiste), la renvoie à son néant :

http://www.francefineart.com/index.php?option=com_content&view=article&id=640%3A666-musee-rodin-ivan-metrovi&catid=14&Itemid=2

Au printemps 1933, trois ans après l’inauguration à Belgrade de son monument de Reconnaissance à la France, en présence du ministre Auguste Champetier de Ribes, les sculptures de Meštrović avaient garni plus nombreuses le musée du Jeu de Paume.

Auprès des tentatives monumentales, Gustave Kahn, le critique d’art du Mercure de France, observa : «Des Pieta, des Maternités affirment un vif sentiment de tendresse, en même temps que le don de ramasser la composition dans une ligne captivante. Les enfants sont décrits avec émotion. Les faces de ces vierges et de ces mères sont d’une rare distinction, sereine et grave, mais non sans douceur et peut-être y retrouve-t-on ce type dalmate dont les Vénitiens et Vinci ont fait parfois si bel usage. Les bustes sont très beaux. Un Moïse ressemble à Rodin, à un Rodin accusé, le masque grandi du tragique.»[1]

Les visiteurs, jusqu’au 6 janvier 2013, du musée Rodin verront, non loin d’une «Étude pour Psyché» un «Rodin au travail» qui leur rappellera Moïse.

James Joyce faisait grand cas de Meštrović. En 1915, à Trieste (donc en Autriche-Hongrie), le volume de Chamber Music qu’il avait copié à la main pour Nora lors d’un voyage à Dublin, voisinait sur un lutrin avec trois photos de sculptures de Meštrović. Selon un élève triestin de Joyce, dont Richard Ellmann recueillit le témoignage, on aurait dit des icônes protégeant un missel. Joyce les avait découpées dans le catalogue de la Biennale de Venise de 1914. Il les avait fait encadrer. Il les avait dotées de titres de son cru. Une paysanne au ventre gonflé, le visage tordu des douleurs de l’accouchement, les cheveux clairsemés à demi couverts d’une perruque flétrie, était devenue «Dura Mater». Une mère à l’enfant osseux, pendu à son sein desséché, s’appelait «Pia Mater». Sous une laide femme nue, Joyce avait écrit ces vers du Chant V de l’Enfer :

Elena vedi, per cui tanto reo / Tempo si volse. . .

Soit, dans la traduction de Jacqueline Risset :

Tu vois Hélène, par qui advint / un si long malheur…

Qui nous sculptera jamais un «Joyce accouchant d’Ulysse» ?

On ne trouvera pas au musée Rodin les sculptures de Meštrović qu’il avait rebaptisées (et peut-être que leur description par l’étudiant triestin n’est pas entièrement fidèle), mais on peut essayer d’imaginer la première en contemplant «Femme saisie par la convulsion», un bronze de 1928 qui nous vient de Zagreb.



[1] De Gustave Kahn, Infolio a récemment réédité L’Esthétique de la rue, avec une introduction de Thierry Paquot.

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