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Le blog d'Adrien Le Bihan et des éditions Cherche-bruit
27 octobre 2020

POUR LUDWIK FLASZEN

 

En hommage à Ludwik Flaszen, mort à Paris le 24 octobre 2020, voici le début d’un texte de son recueil Le Chirographe, que j’eus le plaisir de traduire du polonais en collaboration avec lui, et de publier en 1990 aux éditions La Découverte.

*

Le livre

  

1.  Un livre, on le conçoit, on l’écrit, on le publie.

Un livre, on le consomme, on le digère, on le sécrète.

Des livres, il y en a une quantité innombrable. Ils nous traversent comme ils traverseraient un dispositif prévu — suivant son rôle — pour écrire ou pour lire. Ils gonflent en nous ce monde intérimaire, dépourvu d’obligations, grâce auquel nous nous ajustons à l’étroitesse et à la petitesse de notre vie. Un livre, c’est un narcotique qui nous permet de nous rêver changés, alors que l’existence nous colle à la routine, de nous rêver connaissant, alors que nous ne vivons pas la vérité, de nous rêver existant, alors que nous végétons à peine. Un livre, ça nous complète — mais ne nous comble pas, ne nous fait pas. C’est commode.

 

2.  Un livre, objet de consommation, se dégrade. Mais le livre. Il ne se jette pas à la poubelle, avec les ordures, comme une chose usée — les vieillards ne jettent pas le pain non plus.

 

3.  Un livre est écrit par un homme de lettres, publié par un éditeur, lu par un lecteur. Un livre, donc, est écrit par une institution, publié par une institution, lu par une institution. Un livre est écrit pour devenir une institution dans un monde d’institutions. Il en va autrement du livre. Car avant de l’accomplir tu n’es pas encore, en l’accomplissant tu deviens, et lorsque tu l’as accompli tu n’es pas, car tu es quelqu’un d’autre.

 

4.  Le livre est à un livre ce que l’action est aux activités. Peut-être qu’aujourd’hui c’est seulement un livre qui est possible? Qu’on se demande alors s’il vaut la peine qu’il coûte.

 

5.  Le livre — il n’y en a qu’un probablement. Le reste, ce sont des versions. Les versions sont la nostalgie, la recherche de l’original.

 

6.  Le livre n’est pas une œuvre de l’imaginaire, un jeu d’illusion, un caprice de l’invention. Il n’est pas là pour que tu puisses t’oublier, échapper en douce à l’inanité de ton existence. En aucun cas non plus il n’est une consolation dans la virtuosité. Le livre est une expérience qui continuellement dévore le déjà expérimenté pour, l’ayant englouti, devenir une nouvelle naissance.

 

[…]

 

 

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